Le Noble Jeu du Chevalet

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La légende affirme que les consuls de Montpellier, lassés de voir Pierre d’Aragon se désintéresser de Marie de Montpellier, réussirent par une belle nuit de 1208 à réintroduire subrepticement la conjointe dans le lit conjugal. Pierre d’Aragon ramena alors sur son cheval Marie de Montpellier et l’enfant né de cette union, Jacques d’Aragon, de Mireval à Montpellier. Arrivés en ville, les habitants, rassurés de cette réconciliation, fêtèrent autant les époux et leur enfant que le cheval.

Cette danse est pourtant pratiquée, avec toutefois de très légères variantes, un peu partout en Europe; un vase à parfum du Vème siècle, retrouvé à Délos, et conservé au musée de Béziers, mettrait en scène par ses décorations picturales une danse similaire.

La version du Chevalet de Montpellier a certainement occulté toutes les autres (seule celle de Mèze, est différente). Elle nécessite un porteur du cheval postiche, un donneur d’avoine, et un maréchal-ferrant (le cheval aurait perdu un fer en rentrant dans la localité de Saint ­Jean de Védas). Certainement plus tard, quelques recréations peut-être abusives ont doté le trio de deux latéraux portants fouets et moscals (chasse-mouche). Le jeu consiste à ce que le donneur d’avoine présente toujours, au cours des différentes figures, cette civada à un chevalet qui se doit de la refuser et de ruer. Les figures incontournables sont:

Saluts

Premier Câlinage : Présentation de l’avoine

1- La tentation: Branle latéral et Branle circulaire

Second Câlinage : Domestication

2- L’avoine et la ferrade: Branle frontal et Branle tombé

Troisième Câlinage : Rébellion de l’animal

3- Petit galop couché: Branle couché et Branle des Ruades

Quatrième Câlinage : Dressage

4- La Grâce en « Ressa » : Branle en scie et Branle en valse

Dernier Câlinage : Osmose

 

Chorégraphié, réglé au XXème siècle par Léon Boulet, et entretenu dans une évolution sclérosée par les groupes folklorique, le chevalet était une danse essentiellement carnavalesque qui pouvait revêtir des tailles différentes des formes différentes et des équipes hétérogènes.

Ainsi évoluait la Cabreta, celle de rares village de l’Hérault dans lesquels le chevalet prenait les traits d’une petite chèvre qui n’aurait -semble t-il- jamais subi les contraintes chorégraphiques de la scène. La Cabreta, portée par un seul homme comme le chevalet, était sémillante aux fêtes votives, grivoise au Carnaval, et toujours folichonne. A Vias, la Cabreta improvise ses facéties dans un milieu populaire conquis puisque formateur; le plaisir du danseurde Cabreta réside alors dans ce qu’il éprouve plutôt que dans ce qu’il montre. La disparition de la société paysanne qui l’entretenait a ainsi eu raison d’une pratique toute vécue, festive, de la Cabreta et celle-ci de s’effacer au profit d’un chevalet scénique, promulgué par les chantres du nouveau folklore Languedocien.

Le chevalet a trouvé un public lorsque la Cabreta a perdu ses pratiquants.

Le chevalet s’intègre totalement au paysage traditionnel Héraultais, et s’institue depuis des siècles comme l’alter ego de la danse des Treilles à Béziers et Montpellier, des joutes nautiques à Mèze, du Carnaval partout ailleurs, et devient même le totem principal à Florensac en prenant des dimensions impressionnantes. Le totémisme de l’Hérault est probablement né de ce chevalet, et doit probablement ses principales vertus à ce gigantisme spontané: don de la parole, droits de possessions… La plupart des Totems de l’Hérault jouissent de pouvoirs merveilleux ou féodaux dont sont privés les Chevalets.

Si le cheval est la plus noble conquête de l’homme, alors son dressage méritait bien un jeu chorégraphique adopté naturellement par toute une société rurale. Quelle corporation pouvait se passer des services d’un cheval dans un département viticole ? Ce Noble Jeu qui le met en scène trouvera ainsi tous les cadres de réalisation possibles : fêtes votives, Carnavals, fêtes populaires,… Le jeu consiste pour le meneur à offrir la civada (l’avoine) représentée par un tambourin, à un cheval qui se doit de le refuser. La soumission de la bête sera effective en fin de danse par l’acceptation de l’avoine et le ferrage symbolique. Le jeu demande beaucoup d’adresse, d’agilité, afin de simuler un dressage tout en réalisant un pas de Treilles complexe et éprouvant.

Ainsi, contrairement aux Géants de bois et de toile qui dissimulent dans leur ventre des porteurs anonymes, la danse du Chevalet valorise les hommes, et leur confère une grande renommée soumise à leur excellence. La noblesse du Chevalet réside autant dans le jeu lui-même que dans l’abandon à ses porteurs de l’âme et de la personnalité dont jouissent les Géants.